Visite et compte rendu mensuel

Silence.
Pas un bruit, pas un cri, même la cacophonie des pensées n’assaillaient plus le libraire. Le vampire était enfin seul avec la nuit, perdu au milieu d’une grande bibliothèque tendue de voiles de ténèbres. Jan ignorait que ce soir, le propriétaire des lieux venait l'inspecter les lieux; le novice était incapable de subodorer ses semblables; à quelques exceptions près.
Pour l’heure il était avachi sur son fauteuil, ses jambes passées par dessus son accoudoir battaient l’air au rythme de la folle musique qui braillait dans ses écouteurs. Une de ses tongs avaient valsé à une dizaine de mettre du fauteuil fou, qui tournait et se retournait de droite à gauche. L'autre tong se camouflait dans un tas de livres disposé sur le bureau d'accueil. Le jeune homme en tenait un en la main, ouvert à la moitié bien tassée; Il dévorait un passage du livre tout en chantonnant les paroles des morceaux. Il se régalait.

Cette soirée était sienne; il n'avait cure de ce que lui dirait plein d'amertume l'omnipotent, l'irritant, Robert. L'Ancillae parlait beaucoup, s'attirait beaucoup d'ennuis et en causait aux autres... mais à part ça il n'était doué pour rien. Plutôt que de protéger son novice; Robert le plongeait dans une perpétuelle insécurité. Pourtant, Robert avait extrait Jan d'une situation bien pénible, ce pourquoi ce dernier ne pouvait revendiquer ouvertement son indépendance: il devait à cet idiot une fière chandelle.

Le jeune homme tressaillit. Il se plongea un peu plus dans sa lecture et augmenta le volume de la musique. Bientôt, il quitterait l'appartement pourrit qu'il occupait avec Robert. Bientôt. Jan se trouvait mieux dans cette bibliothèque qu'auprès de ce beau parleur. A sa présence il préférait celle des livres, des intrigues, des mots...
Sa fascinait pour toutes ces fictions était telle qu'il n'en mangeait plus, comme ses temps derniers. Il avait drôlement maigrit en deux petits mois. Le peu de repas qu’il prenait n’aurait en effet pas suffit à nourrir un vampire si jeune, dans la force de l’âge et dont l’alimentation en quantité permettait le développement du corps et des pouvoirs, comme aimait lui répéter Robert.
" Chaque fois que nous entendrons dire : de deux choses l'une, empressons-nous de penser que, de deux choses, c'est vraisemblablement une troisième…" Jan s'apprêtait à tourner la page lorsqu'un bruit de pas l'extirpa de Jean Rostand. Il hoqueta de surprise. Et scruta la pénombre, prêt à décamper à la moindre anomalie.

Ses pieds nus battirent l'air une dernière fois avant de venir se poser contre le carrelage glacé de la bibliothèque. Jan Wols resta un instant les yeux rivés sur son livre, comme s'il avait peur de le poser et de découvrir qui se tenait devant lui. Il avait déjà son idée sur la question. Il ôta ses écouteur et fit cesser le braillement continu de la musique pour relever ses yeux bleus vers l'homme, ou plus exactement le vampire qui lui faisait face.
"-Vous avez sans doute raison Mr Amerasu, mais malgrès tout les efforts que je puis faire, je ne parviens pas à stopper la magie des mots." Il posa son livre sur son bureau et afficha un sourire franc sans pour autant laisser apercevoir ses longues canines éguisées.
Son patron se tenait devant lui, élégament moulés dans des vêtements de luxe. Il n'avait pas souvent eut l'occasion de s'entretenir avec lui après s'être fait embauchés ici, mais il lui envoyait régulièrement un rapport détaillé sur l'état de la bibliothèque, de ses stocks et des acquisitions rares possibles à faire.
Il ne s'était absolument pas attendu à voir son employeur ce soir, mais il n'était pas fâché de la rencontre. Pour ainsi dire, Ineluki le fascinait, il était était le fleuron de sa race, il touchait presque aux origines. Un mathusalem songea Jan, un être millénaire que personne n'avait pu tuer jusque là, il avait était capable de déjouer tous les pièges et il le serait sûrement encore. Le novice, qui se faisait passer pour un nouveau né, n'était pas certain un jour de pouvoir prétendre à ce titre, déjà il n'avait plus de protecteur, et malgrès sa prudence, il était faible. Bien trop faible pour un Lasombras, c'était dangereux pour lui, il le savait.
A ce propos, le mathusalem prit la peine de lui donner un conseil, abordant peut être d'une manière éloigné le fait que son employé devrait mener une vie moins esseulé, et se nourir plus.
Jan se leva et osa dévisager le visage de marbre de son aîné, quelque chose en lui le fascinait, c'était une des rares fois qu'il avait le loisir d'observer un être si ancien, cette perfection lui décocha une moue infîme d'inquiétude.
"Les livres ne disparaîtrons pas en effet, grâce à votre bibliothèque... mais quand au temps que je possède encore, je doute qu'il soit aussi long que prévu, avec tous les événements récents..."
Jan faisait bien entendu référence à la venue d'anges et de démons sur Los Angeles. Les deux camps s'affrontaient dans une lutte ultime, semblait il, dont l'issue déterminerait le sort de cette ville, et même du monde. Avec ces apparitions, on avait également assisté à l'essort d'une catégorie d'humains qu'un novice isolé avait fort à craindre: Les chasseurs de vampires. Si pour un mathusalem ils ne constituaient pas un danger réel, il n'en allait pas de même pour Jan qui devait s'efforcer de cacher sa nature véritable pour survivre_ Robert, son actuel protecteur, était un frimeur, il parlait beaucoup mais ne le protégerait sûrement pas. Il avait déjà des ennuis. Le fait de travailler dans un lieu public le jetait dans un danger constant, peut être une des causes qui l'avait fait s'éloigner de la vie en société.
Cependant, son patron avait raison, si le libraire ne s'accordait pas un petit peu plus de temps libre, ne serais-ce que pour se nourrir, il courrait à sa perte. Jan secoua légèrement sa tête de droite à gauche comme pour éloigner cette funeste pensée, il reprit sur un tout autre sujet pour se vider l'esprit. "A propos de livres, nous avons retrouvés un ouvrages disparu_ c'était un livres anciens qu'un collectionneur passioné avait volé à la bibliothèque, malheureusement pour l'homme, Jan était venu le récupérer_ et nous avons trouvés deux ou trois documents précieux qui risquerait de vous interresser. Nous les avons réservés en attendant votre approbation, le fournisseur habituel."
Les livres et les manuscrits étaient de nos jours choses rare, avec l'essor de l'informatique, les ouvrages compressés sous forme de livres avaient cessés d'interesser nombres d'humains, et de nos jours, posséder un volume fait de papier était une marque d'éloquence et de raffinement.

[désolé pour le temps que j'ai pris pour répondre...]

Jan hocha la tête, un sourire désolé aux coins des lèvres. Son interlocuteur avait horriblement raison: lui, Jan, n'avait cure était des réflexions théologiques. Depuis tout jeune, il baignait dans une société de surconsommation, sans avoir jamais songé à rien d'autre qu'aux soucis matériels. Pas de Dieu. Aucun diable. Juste ordinateurs, consoles de jeux, mp3, portables, casinos, Argent, Argent, et Argent. Aujourd'hui, si l'argent n'était plus sa préoccupation majeure, le libraire était toujours exempt des soucis religieux. Sa seule préoccupation était de travailler, de se détendre quand il le pouvait... Bref, il était au centre de ses réflexions_ ce qui l'énervait passablement.

Ah? Des livres? Oui, à quels genres de documents avait-il fait allusion déjà? Il ouvrit un instant ses lèvres avant de claquer la langue d'un coup sec.
"Une bible écrite par un moine, vers 1500, dernier exemplaire existant sur une dizaines. Elle contient quelques particularités par rapport à certains psaumes. Les iconographies sont magnifiquement soignées.
Un essaie, de Diderot, découvert récemment, modèle original, ainsi qu'un livre d'un poète contemporain, tiré seulement à dix exemplaires, distribué aux proches de l'auteur." Récita machinalement Jan, précisant pour chaque livre la date, le nombre de pages, et donnant un résumé assez synthétique du texte.
"Si ces documents vous intéressent, le libraires, les a mis de côtés; il est à notre disposition à n'importe quelle heure de la journée, ou de la nuit." Précisa le jeune employé.

Il inclina légèrement la tête_ une mèche de cheveux noire obstrua ses yeux qu'il dégagea machinalement_ attendant la réaction de son patron. Un faible soupir emplit sa gorge desséchée, ces pensées venaient de dévier. Il pensait à Robert à l'impératif qu'il lui avait posé_ c'est-à-dire de rentrer chaque soir au 'domicile', sous peine de sanction? Le jeune vampire esquissa un sourire pleins de défit masquant sa peur intérieure_ jamais encore, depuis qu'il était vampire, il n'avait pris de son propre chef une décision. Aujourd'hui, il souhaitait s'émanciper de la domination d'autrui, mais il avait besoin, au minimum, d'un appuie.
Jan releva lentement ses yeux bleutés vers son employeur, il hésita un instant avant de se ressaisir_ il n'arriverait jamais à rien s'il ne faisait pas un peu preuve de culot_ ce fut d'une voix claire qu'il formula sa demande.
"Pourriez vous m'héberger, juste pour ce soir s'il vous plaît?"
Cette phrase aurait pu tout aussi bien être lancé au hasard d'une discussion, elle semblait en total décalage avec leur dialogue, elle trônait exigeant une réponse, favorable, ou non; elle trouvait maintenant écho dans le regard du libraire ou elle se répétait à l'infinie, tel un cantique entêtant.